Par Rasheed Clarke
Si vous passez par l’autoroute 400 au nord de Toronto, vous pouvez l’apercevoir au loin. Ses bandes turquoise, avec leurs arcs et tournants, surplombent les lotissements et les centres commerciaux qui l’entourent. En approchant, vous pouvez entendre les cris que son expérience suscite. C’est le Leviathan! Ces montagnes russes, qui font partie du parc d’attractions Canada’s Wonderland, sont les plus hautes, les plus longues et les plus rapides du pays. Eric Polsinelli était déterminé à faire le Leviathan, et ce n’était pas son sac de stomie qui allait l’arrêter.
Son appareil de stomie était bien fixé sur son estomac et Eric était solidement attaché à son siège : il était fin prêt! À partir du point culminant du Leviathan, Eric a fait une descente de 306 pieds à un angle de 80 degrés. Durant le tour, il a atteint une vitesse de 148 km/h.
Puis Eric a fait un autre tour.
Et un autre.
Et un autre.
Et 17 autres. Le tout en une journée.
Eric est la preuve vivante que la vie avec une stomie peut être simple. Âgé de 36 ans, cet homme d’Oshawa a une femme et deux enfants, il adore le plein air, il a un faible pour les aventures qui procurent des sensations fortes et il a une stomie permanente. Il n’hésitera pas à vous dire qu’une stomie s’accompagne de difficultés particulières, mais du même souffle, il vous expliquera que les apprentissages faits dans les moments éprouvants peuvent aider une personne à rechercher davantage les moments agréables.
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En 2007, Eric ressentait de l’inconfort dans la région anale. Il croyait que c’était les hémorroïdes. Toutefois, un examen effectué par son médecin de famille a permis de révéler la présence d’un début d’abcès. Le médecin a prescrit des antibiotiques à Eric et il lui a demandé d’aller passer une coloscopie. Cette dernière a permis d’établir qu’Eric souffrait de la maladie de Crohn.
Eric se rappelle s’être demandé, au moment de son diagnostic : « Quelle maladie? » Il déclare : « Je n’avais jamais entendu parler de la maladie de Crohn auparavant et on m’a demandé si mes selles me donnaient du fil à retordre ou si je souffrais de douleurs abdominales. J’ai fait non de la tête, car ce n’était pas le cas, du moins pas encore. »
Bien qu’Eric ait exploré un certain nombre d’options de traitement, son état s’est aggravé. À l’été 2010, il éprouvait de la difficulté à marcher en raison de douleurs articulaires, il pouvait à peine parler à cause d’ulcères buccaux et il hésitait à quitter la maison, car il devait se rendre aux toilettes 20 fois par jour en raison de selles urgentes et sanguinolentes. Eric faisait 5 pieds 10 pouces, mais son poids n’était que de 108 lb. Il se sentait fragile et éprouvait une grande frustration.
« La stomie m’a été proposée au cours d’un essai clinique, explique Eric. Mon gastroentérologue, qui dirigeait l’essai, m’a dit vers la fin de ce dernier que j’aurais peut-être besoin d’une stomie temporaire pour donner un répit à mon intestin. Tous les traitements que nous avions essayés s’étaient soldés par un échec. »
Toutefois, avant qu’une stomie temporaire ne puisse être envisagée, une autre coloscopie a permis de déterminer que le rectum et le côlon d’Eric étaient encore plus endommagés qu’on ne le pensait. Il a été alors aiguillé vers un chirurgien avec qui il allait discuter de la possibilité d’une stomie permanente.
« Lorsqu’on m’a dit que j’avais besoin d’une stomie, ma première réaction en a été une de stupeur et de déception. Cela était principalement dû au fait que je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait! On me disait que j’allais porter un sac! Toute une nouvelle. Cela allait-il me limiter dans mes activités? Ne serait-ce pas la cause de problèmes supplémentaires? C’était mon impression, car je n’avais aucune idée de ce que ça impliquait », se rappelle Eric.
Entre le moment où il a consulté son chirurgien et la date prévue de l’opération, Eric a ratissé l’Internet pour trouver des renseignements sur les stomies et des témoignages de personnes vivant avec ces dernières.
« Je voulais savoir à quoi ressemblait leur vie. Ces personnes étaient-elles clouées à leur lit, occupées à gérer leur appareil tout le jour durant, ou étaient-elles actives? Que faisaient-elles? C’est en effectuant ces recherches que j’ai découvert que de nombreuses personnes menaient une belle vie malgré leur stomie. Elles étaient heureuses, elles s’adonnaient à des activités extérieures. Ces personnes ont été très inspirantes pour moi. Le fait de découvrir leur parcours m’a incité à créer mon blogue. Le changement de perspective que ces personnes m’ont fait vivre, je voulais en parler avec d’autres gens à mon tour. »
En août 2013, Eric a subi l’ablation de son côlon. Trois mois plus tard, il se soumettait à une seconde opération, soit le retrait de son rectum. Alors qu’il récupérait, il a commencé à écrire dans son blogue,
Vegan Ostomy (en anglais seulement), pour documenter sa nouvelle vie de stomisé.
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Dès le départ, Eric a tenu à s’occuper lui-même de sa stomie. Il insistait pour changer lui-même son appareil, toutefois sous l’œil attentif de son infirmière, qui pouvait ainsi lui dire si sa technique était adéquate ou non. En adoptant une telle approche, Eric sentait qu’il maîtrisait davantage sa nouvelle situation.
Dans Vegan Ostomy, Eric parlait de ses expériences avec la nourriture végétalienne, mais il a réalisé rapidement que des personnes de tous les horizons recherchaient de l’information et des conseils à propos des stomies. Il a donc décidé de partager avec son lectorat des détails sur le fait de vivre au quotidien avec une stomie.
Dans son blogue, Eric n’a pas peur de parler des difficultés que peut entraîner la présence d’une stomie.
« Croyez-moi, j’ai eu des problèmes, déclare-t-il. Ma poche de stomie a fui, elle a éclaté, il est arrivé que je me réveille le corps souillé. J’ai vécu tout cela. Mon expérience n’est pas parfaite, mais je tente de voir le positif dans tous les aléas qui surviennent. S’il arrive une fuite, je m’efforce de m’attarder aux questions fondamentales : pourquoi est-ce arrivé? Comment puis-je faire en sorte que cela ne se reproduise pas dans l’avenir? Mon objectif est de tirer une leçon des problèmes qui se manifestent. »
Ce sont ces expériences négatives qui, parfois, peuvent faire ombrage aux aspects positifs d’une stomie, ce qui peut empêcher les gens de comprendre réellement ce que sont les stomies.
« D’après mes constatations, parmi les idées préconçues à propos des stomies, une ressort particulièrement : une stomie, c’est sale, ça va sentir mauvais, ça va fuir constamment, déclare Eric. Au début, j’avais moi-même une telle idée, car je ne savais pas comment fonctionnait un appareil de stomie. Je ne savais pas que l’odeur ne s’en échappait pas, ou encore que je pouvais prendre une douche sans que l’appareil ne tombe. Mes journées se déroulent normalement. En réalité, je suis plus productif que je ne l’étais avant mon opération. »
Les conseils qu’Eric a à donner aux personnes pour qui la vie avec une stomie constitue une nouvelle réalité, ainsi qu’aux stomisés expérimentés qui traversent des moments difficiles, s’énoncent comme suit : il faut chercher de l’information, comprendre les raisons pour lesquelles le problème se manifeste et discuter avec d’autres personnes qui pourraient avoir les solutions. De plus, il faut veiller à garder une bonne estime de soi.
« Il vous faut accepter votre nouvelle normalité, car au fond, vous êtes la même personne : seule votre manière d’aller aux toilettes a changé », dit Eric pour conclure.